Intervention de Ghislaine Desseigne, présidente de S.O.S Amitié

2025 : une Grande Cause Nationale autour du lien social

Mercredi 17 janvier 2024 au Sénat, 14 Parlementaires invitent le gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en Grande Cause Nationale.

Mardi 30 janvier 2024 le Premier Ministre annonce dans son discours de politique générale la santé mentale des jeunes comme Grande Cause !

Chacun appréciera l’ultra rapidité de l’annonce, pour autant, en 47 ans de Grande Cause, jamais la santé mentale n’a été mise en avant. C’est dire l’importance du sujet et nous partageons cette importance.

La proposition de résolution des Sénateurs met en exergue l’isolement des étudiants, le harcèlement scolaire, la violence visuelle par le biais de l’addiction aux écrans, entre autres.

Au-delà du constat clinique lié à ces multiples facteurs anxiogènes, le lien social, non cité en tant que tel, est pourtant sous-jacent lorsque l’on parle de solitude et d’isolement.

Vous l’avez probablement remarqué on entend beaucoup parler du lien social depuis quelques mois. Comme si soudain la société presque toute entière redécouvrait que l’être humain ne peut pas vivre et évoluer sans l’autre, sans échange de paroles, de regards, de partages, de sentiments et d’émotions, bref de l’inter- action entre les personnes qui se définit tout simplement par le lien social.

Devons-nous en être surpris ?

Oui si l’on considère que ce lien est intrinsèque à notre condition dès la naissance et qu’il n’y a pas lieu de s’y arrêter ; non si l’on considère que les changements de société, les modes de communication moderne et les réseaux sociaux en particulier supplantent presque complètement ce besoin primaire.

Mais alors quelle importance devons-nous attacher au rapport que pourrait avoir le lien social avec une certaine dégradation de la santé mentale fait par les professionnels de santé ? Et le constat ne concerne pas que les jeunes, loin s’en faut !

Cette question fondamentale de la cause à l’effet, nous la posons clairement dans le projet de la Grande Cause Nationale pour 2025 « Entretenir et réparer le lien social pour une santé mentale partagée »

.… SOS Amitié, la solitude et l’isolement…. toute une histoire !

Depuis 63 ans, SOS Amitié a écouté des millions de personnes et la majorité d’entre elles fait état de situations d’isolement et de sentiment de solitude.

Les tous premiers éléments chiffrés disponibles sur les lignes d’écoute de SOS Amitié dans les années 60 note déjà que 63 % de problèmes exposés sont liés à la solitude et 58 % à la dépression.

D’année et année le nombre d’appels pris ne cesse de croître : de 20 000 en 1961 à une époque où le téléphone n’était pas encore ancré dans les habitudes de vie, à 700 000 en 2023 où le portable est accessible parfois dès le plus jeune âge, chaque année nous faisons le même constat : des fortes proportions d’appels liés soit au sentiment de solitude, soit au mal-être et souffrances psychiques avec ou sans pathologie déclarée.

Les années avant COVID ont marqué une légère inversion des motifs d’appels : le mal-être et les souffrances psychiques étaient un peu plus nombreux que la solitude et l’isolement.

Ce constat perdure aujourd’hui et traduit assurément un profond malaise sociétal que bon nombre d’associations, certaines relativement jeunes et d’autres plus anciennes mettent de plus en plus en évidence dans le cadre de leurs actions. Citons par exemple Nightline, ligne d’écoute pour les étudiants, créé en 2016-17 et dont l’une des premières interventions a eu lieu ici même à la JNPS, ou les Petits Frères des Pauvres qui œuvrent concrètement auprès des plus démunis et isolés depuis 1946.

…. Quelles sont les raisons de ces sentiments de solitude, d’isolement et de mal-être ?…

Ces raisons sont multiples et presque infinies et nous en entendons beaucoup sur nos lignes d’écoute. On observe que l’expression de la solitude et de l’isolement émane essentiellement des changements de société : dans les milieux ruraux le lien est appauvri par la disparition des commerces et des services publics ; dans les grandes villes les rythmes de vie effrénés, les ruptures familiales et l’anonymat sont un frein au contact, à l’échange et au partage.

C’est aussi au niveau individuel, la personne âgée veuve depuis plusieurs années dont les enfants et petits-enfants sont trop éloignés pour des visites régulières ; c’est encore le jeune adolescent qui subit le harcèlement au collège et qui a honte d’en parler à ses parents ; c’est aussi la jeune femme brutalisée par son conjoint qui n’ose pas pousser la porte du commissariat ; c’est toujours l’adolescent qui découvre son homosexualité et qui se construit une double vie avant que la réalité ne le rattrape ; ce sont des familles recomposées qui peinent à composer un nouvel espace de vie harmonieux ; ce sont des difficultés quotidiennes pour se loger, se nourrir, travailler…

C’est un grand nombre de situations et de sentiments fait d’abandon, de non-dit, d’incompréhension et de souffrances sourdes qu’il est nécessaire de libérer avant qu’elles n’explosent dans la tête et fassent basculer la personne dans un désespoir irrémédiable.

Le point commun à toutes ces expressions douloureuses, c’est la recherche du sens de la vie dans le regard de l’autre, des autres, de la société.

Alors oui entretenir et réparer le lien social tombe comme une évidence et sonne comme une urgence.

…. Que se passe-t-il depuis les années COVID ?

On pouvait penser que la sortie des années COVID, a permis de repenser le lien social qui a tant manqué lors des confinements, reprendre les habitudes d’avant, en mieux bien sûr ! Reprendre le rythme de la vie de façon plus ou moins limpide, mais sans que cela n’interroge plus que ça ni la société, ni les politiques en place….

Il n’en est rien. Nous savons aujourd’hui que cette crise a mis en évidence bien des carences et nous en mesurons chaque jour un peu plus les effets délétères.

Les professionnels et les acteurs du monde associatif sont souvent en première ligne de ce constat…

Très tôt plusieurs observateurs, institutionnels ou non, ont analysé l’impact de la crise sanitaire liée au COVID-19 sur la santé mentale et les liens sociaux et ont alerté : l’ONS observatoire National du Suicide dans ses travaux publié par la DREES en sept 2022, également les rapports de la Haute Autorité de Santé qui convergent pour recommander une prévention globale du suicide des jeunes, s’appuyant sur un réseau d’acteurs entre lesquels les liens doivent être établis pour permettre un repérage des risques et une prise en charge coordonnée.

Fort de ces constats, petit à petit l’idée d’inscrire dans l’action une meilleure information du public en matière de prévention du suicide et de santé mentale afin de mieux connaître les dispositifs et les acteurs impliqués, ce que permet une grande cause, a mûri et c’est une bénévole-écoutante de SOS Amitié de Paris  – Constance Peruchot ici présente – qui avec le président d’IDF Laurent Le Boterve en a construit le projet, mené les entretiens pour constituer le collectif et Constance a rejoint la fédération en tant que cheffe de projet il y a un an.

Nul besoin de vous dire l’adhésion immédiate et j’ai envie de dire ; un seul mot d’ordre !

…. Voyons grand, unissons nos solidarités !

Mais avant de parler du collectif proprement dit et des raisons d’espérer, car oui elles existent, je voudrais m’arrêter un instant sur les différents types de réponses possibles face à l’isolement et à la solitude.

Cécile Van de Velde, sociologue à l’université de Montréal distingue 5 grands types de réponses qui illustrent parfaitement les actions et les implications d’acteurs du collectif qui portent le projet de la grande cause 2025.

D’abord « écouter » avec des espaces ou numéros dédiés pour permettre aux personnes de valider leur expérience et de trouver des témoins à leur existence.

C’est l’action des lignes d’écoute bien sûr souvent anonymes avec toute leur diversité, généraliste ou spécifique, pour les jeunes, les étudiants, … pour recueillir la parole des violences de toutes sortes ou des urgences comme les répondants professionnels du 3114.

C’est aussi l’action d’associations d’accueil inconditionnel comme la Porte Ouverte dont la devise « Tant que parler fera du bien, notre porte restera ouverte » illustre ce simple besoin relationnel de communication.

Il s’agit ensuite de relier et de rassembler, pour créer des liens de proximité.

Ainsi l’action menée par les Petites Cantines par exemple « accueillir, rencontrer, partager », ou le Labo de la Fraternité, collectif inter-organisations dont l’énergie à recréer du lien là où il a été brisé fait figure de grand rayon de soleil.

Il est aussi indispensable d’aller à la rencontre des personnes égarées par la vie, rejoindre les plus démunis, les plus isolées au travers de dispositifs de veille, c’est parfois le rôle de commerçants de proximité, d’infirmiers, de pharmaciens. J’ose à peine évoquer ici le dispositif « Veiller sur mes parents » de la poste, le lien social n’a pas de prix, certains l’ont bien compris !

Aller à la rencontre c’est aussi le dispositif de re-contact VigilanS déployé sur l’ensemble du territoire, réseau de professionnels de santé et dont le résultat et plus qu’encourageant. Selon une étude de santé publique France en 2023, 40 % des personnes inscrites dans ce dispositif ne repassent pas à l’acte.

Une des réponses à la solitude et l’isolement c’est aussi soutenir les personnes en situation de précarité et démunies face aux démarches administratives par exemple, leur redonner accès à la société.

Mettons en avant, et ce n’est pas si courant, l’action des CCAS (Centres Communaux d’Action Sociale) dont le rôle d’aide est si important dans les petites communes pour proposer un ensemble de services, orienter et conseiller les habitants, notamment les personnes âgées sur leurs droits sociaux. Beaucoup de petites associations spécialisées œuvrent également dans ce sens.

Enfin et ce n’est pas la moindre des réponses, il faut faire participer à la vie de la cité, lutter contre le sentiment d’inutilité et redonner un rôle à chacun.

L’engagement bénévole est, en ce sens, une des réponses concrètes, peu et mal valorisé, voire même parfois malmené. 13 millions de bénévoles, 13 millions puissance X de lien social !

Mais ce n’est pas la seule réponse bien sûr !

Je repense souvent au benêt du village qui autrefois était certes souvent moqué par ses voisins mais assurait souriant la propreté des caniveaux, qu’il pleuve ou qu’il vente.

Je voie aujourd’hui tous ces petits métiers discrets du quotidien, fait par des anonymes dont aucune machine, aucun programme informatique aussi élaboré soit-il, ne pourra remplacer l’identité singulière.

….. Revenons au collectif …. Quelle est son l’histoire ?…

Depuis toujours SOS Amitié rencontre, discute et partage une partie de son activité avec les psychologues. Il était donc tout à fait naturel de les associer pleinement à la création du collectif de la grande cause 2025 aux cotés des associations majoritairement bénévoles.

Au travers de fédérations nationales ou d’associations dont la Fédération Française des Psychologues et de la Psychologie, la Fédération Nationale d‘éducation et de promotion de la santé, l’APESA  Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aiguë, les établissements de services publics de santé mentale, mais aussi la fondation Action Recherche Handicap et Santé Mentale, le réseau VIES 37 qui vise à améliorer la prévention et assurer une meilleure prise en charge des conduites suicidaires, réseau regroupant plus de 30 associations et institutions départementales. Autour et avec cette diversité et cette richesse d’acteurs le collectif s’est construit.

Il faut évidemment ajouter, L’UNPS à l’initiative de cette journée nationale pour la prévention du suicide. L’UNPS regroupe quant à elle une quarantaine d’acteurs de terrain et plaide ouvertement depuis 2020 pour une prévention partagée.

Plusieurs visio-conférences et échanges ont permis de mieux se connaître et d’identifier les priorités que nous souhaitions voir porter sur la place publique.

La prévention du suicide ne peut pas être univoque, elle est forcément plurielle !

Car témoins depuis de nombreuses années d’une diversité grandissante de situations de mal-être et d’une augmentation significative des demandes de consultation pour idées suicidaires, unir les forces autour du lien social avec la santé mentale en tant que pratique médicale, s’est imposé dès les premiers échanges.

En effet il est fondamental de comprendre que la dégradation d’un état psychique révèle ce que devient notre société, et elle en est bien souvent la conséquence.

Le collectif souhaite s’attaquer à la racine de ce qui crée le mal-être et regarder les déterminants des problématiques soulevées. Cela ne relève pas seulement du soin mais de l’ensemble de la société, une santé mentale dégradée n’est pas seulement un manque de sérotonine dans le cerveau, il s’agit d’un enjeu bien plus large pour la société.

Finalement le lien social est la thématique commune qui rassemble les différents acteurs de la santé mentale et ce dénominateur commun est porteur d’espoir.

Après une tribune dans le journal « le Monde » en juillet dernier, le collectif a sollicité une entrevue à l’Elysée et récemment à Matignon.

Actuellement le collectif travaille à définir une stratégie de communication auprès des pouvoirs publics et des politiques afin de porter cette grande cause en 2025.

D’autres acteurs pourraient également être sollicités ; associations de distribution alimentaire par exemple mais aussi l’association des Maires de France, pourquoi pas !

D’autres initiatives verront probablement le jour, l’articulation entre toutes ces volontés émergentes sera le signe d’une réelle prise de conscience, qu’il est urgent d’agir, chacun à sa place, chacun à son niveau.

Car comment continuer d’admettre que le suicide tue chaque année près de 9000 personnes et que près de 250 000 tentent de le faire sans réagir au niveau de la société toute entière ?

Le chemin, nous le savons n’est pas simple, mais notre énergie collective dans les associations, dans les organisations professionnelles ou non professionnelles, avec les praticiens, va nous permettre de surpasser quelques obstacles inévitables.

…. Les raisons d’espérer existent !

Notre volonté commune de mettre en lumière nos actions aussi diverses que créatives pour entretenir et recréer ce lien social indispensable à l’équilibre, au libre choix de la trajectoire de vie, la complémentarité avec les soignants dont les compétences et l’investissement doivent être mieux pris en compte, sont les moteurs de la grande cause 2025.

Il n’y a jamais eu autant d’associations dont l’objectif est l’écoute, l’aide, le soutien aux personnes, qui se créent ou se sont créées dans la dernière décennie, souvent à l’initiative de jeunes adultes.

La volonté du collectif grande cause 2025 est d’unir ces forces vives avec les professionnels, de sensibiliser l’opinion pour protéger les plus fragiles, qu’ils se sentent écoutés et compris, qu’ils se sentent vivants !

Solliciter les médias, faire prendre conscience à un large public que le lien social et la santé mentale c’est l’affaire de tous, sensibiliser les politiques au sens noble du terme afin de donner les moyens de prévenir, mais aussi de soigner les grandes souffrances quand elles déstabilisent l’équilibre de vie d’une partie importante de la société, voilà la raison d’être de cette grande cause !

« Entretenir et réparer le lien social pour une santé mentale partagée !»

Ghislaine Desseigne, Présidente S.O.S Amitié France